Délai de révision pour une rénovation : 5 ou 15 ans ?
Quel délai de révision est applicable pour des travaux de rénovation importants à un bâtiment ? Peut-il être de 15 ans comme pour une nouvelle construction ? Qu’a décidé la CJUE à ce sujet le 12 septembre 2024 ?
I. Révision de la TVA
A. Déduction de la TVA pas toujours acquise immédiatement !
La déduction de la TVA sur l’achat d’un bien ou d’un service est immédiate, c.-à-d. qu’elle intervient au moment de l’achat ou de la facturation. Si la TVA est déductible (car cela reste bien entendu une condition), elle est alors immédiatement et intégralement déduite dans la déclaration TVA qui suit.
En principe, la déduction de la TVA est acquise de manière définitive, mais dans certains cas, la TVA initialement déduite devra être corrigée ou régularisée. Ce sont les fameuses révisions de TVA (art. 48 CTVA) . La manière dont la révision de TVA doit être opérée et les délais applicables sont entièrement définis par la loi.
B. Délai de révision pour les immeubles
Le risque de révision est limité dans le temps. Autrement dit, les révisions de TVA ne peuvent se faire que pendant certains «délais de révision». Une fois le délai passé, la déduction de la TVA est définitivement acquise, sans que l’on puisse revenir dessus.
Le délai de révision pour l’achat ou la construction d’un nouveau bâtiment est de 15 ans. Cependant, il existe également d’autres délais !
La réglementation belge en matière de TVA prévoit trois délais de révision, durant lesquels la déduction de la TVA sur les biens d’investissement immobiliers doit être corrigée, en faveur ou en défaveur de l’assujetti (art. 48, §2, CTVA et art. 9 AR n° 3) . Le délai de révision de 15 ans est toutefois la règle générale en ce qui concerne l’achat ou la construction d’un nouveau bâtiment.
Le délai est parfois de 25 ans ! C’est notamment le cas lorsqu’il y a application de l’option TVA sur la location immobilière professionnelle. En bref, il s’agit de la location d’un bâtiment avec TVA à un locataire qui l’utilise exclusivement à des fins professionnelles et est lui-même assujetti à la TVA.
Pour le bailleur, la TVA due lors de la construction du bâtiment est immédiatement déductible, mais cette déduction n’est définitivement acquise qu’après 25 ans. Entre-temps, il loue le bâtiment avec de la TVA sur le loyer.
Le délai de révision de 15 ou 25 ans ne s’applique pas seulement aux travaux de construction en tant que tels, mais aussi p.ex. aux plans d’architecte liés à la construction d’un nouveau bâtiment (chapitre 16, section 5, titre 3, rubrique D, sous-rubrique C, Commentaire TVA) .
Parfois, le délai de révision est de cinq ans ! C’est donc une période relativement courte par rapport aux deux autres délais de révision. Pour les travaux d’amélioration et de transformation d’un bâtiment, tels que la pose d’une nouvelle toiture ou l’installation de nouveaux châssis, le délai de révision est limité à cinq ans.
C’est souvent un point de discussion. Si les travaux de transformation ou d’amélioration du bâtiment sont si importants qu’ils aboutissent en fait à la création d’un nouveau bâtiment, le délai de révision est alors de 15 ans au lieu de cinq ans.
Si le coût HTVA des travaux réalisés, entraînant une modification importante du bâtiment, représente au moins 60 % de la valeur vénale du bâtiment après l’exécution des travaux, en ne prenant pas en compte le terrain, il ne s’agit alors plus d’une rénovation ordinaire, mais d’une nouvelle construction. Dans ce cas, le délai de révision est de 15 ans.
Tous les délais de révision commencent à courir à partir de la première utilisation du bâtiment en question.
II. Arrêt notable de la CJUE
A. Les faits
La discussion portait sur la différence entre la période de révision de cinq ans et celle de 15 ans. Cela a récemment conduit à un arrêt de la CJUE (C-243/23, 12.09.2024, Drebers) .
Un cabinet d’avocats belge a fait réaliser d’importantes rénovations sur son bâtiment de bureaux entre 2007 et 2015. Après les travaux, le bâtiment comprenait un bâtiment principal rénové et un bâtiment intermédiaire, une cave nouvellement construite, une annexe en verre et une cage d’ascenseur. En 2015, les travaux étaient entièrement terminés, et le bâtiment a été mis en service.
Le 1er janvier 2014, l’exemption de TVA pour les avocats a effectivement été supprimée, et le cabinet d’avocats a donc exercé son droit à déduction de la TVA historique. En d’autres termes, il a récupéré, par voie de révision en sa faveur, la TVA sur les travaux de rénovation en invoquant la période de révision de 15 ans.
L’Administration était en désaccord. Si l’administration de la TVA a bien reconnu l’exercice du droit à la déduction de la TVA historique, elle a en revanche estimé qu’il ne s’agissait pas d’une nouvelle construction, mais plutôt d’une rénovation ordinaire. Pour l’administration de la TVA, le délai de révision n’était donc que de cinq ans au lieu de 15 ans.
B. Qu’a exactement décidé la CJUE ?
La Cour estime, en particulier, que le délai de révision de 15 ans s’applique non seulement aux nouvelles constructions, mais aussi aux rénovations en profondeur dont le résultat a la même durée de vie économique qu’un nouveau bâtiment.
Une différence dans la période de révision entre les rénovations et les nouvelles constructions, alors que les deux sont économiquement équivalentes, constitue une violation du principe de neutralité fiscale. Le fait que le bâtiment soit ou non qualifié de nouveau bâtiment à des fins de TVA par la suite est sans pertinence pour la détermination du délai de révision applicable, indique la Cour.
C. Conséquences de cette jurisprudence ?
L’administration est en faute. Les règles de révision de la TVA, telles qu’elles sont appliquées et interprétées aujourd’hui par l’administration de la TVA en ce qui concerne la distinction entre «rénovation» et «nouvelle construction», sont contraires aux règles TVA européennes, selon cette décision. Il est évident que cet arrêt de la CJUE ne peut rester sans conséquence dans le contexte belge.
L’arrêt pourrait modifier de manière significative les règles de révision en matière de rénovation. Si les rénovations, en raison de leur ampleur et de leur importance, ont la même durée de vie économique qu’un bâtiment neuf, le délai de révision 15 ans sera alors applicable au lieu du délai de cinq ans.
Cela peut être avantageux ou désavantageux. Dans certains cas, cela entraînera une déduction supplémentaire de la TVA, tandis que, dans d’autres cas, la TVA déjà déduite devra être partiellement remboursée. Pensez p.ex. à la vente d’un bâtiment rénové avec droits d’enregistrement.
L’administration de la TVA n’a pas encore réagi à cet arrêt ; en tant qu’assujetti à la TVA, vous pouvez donc actuellement choisir «le meilleur des deux mondes». Il est possible, lorsque c’est avantageux pour vous, de vous référer à l’arrêt de la CJUE, ou aux positions administratives si cela s’avère plus avantageux pour vous.